Disposant d’environ 30 % des réserves de pétrole et 20 % des réserves de gaz mondiales, les pays du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Oman et Qatar) ont connu un enrichissement fulgurant en quelques décennies. Leur dépendance au secteur des hydrocarbures est aujourd’hui conséquente, celui-ci occupant une part importante de leur budget, de leurs exportations et de leur PIB.
Les différentes baisses du cours des hydrocarbures ainsi que l’épuisement à venir de ces ressources pousse ces Etats à planifier la transition d’une économie basée sur la rente à une économie diversifiée. Les pays du Golfe sont ainsi ceux qui ont le plus déployé d’efforts en ce sens dans le monde arabe. Ils n’ont d’autres choix que de relever le défi de la diversification, comme l’ont fait la Malaisie et l’Indonésie.
Les revenus d’exportation restent majoritairement liés aux recettes pétrolières, notamment pour l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, le Koweït et le Qatar (entre 70 et 90 %). Le sultanat d’Oman est celui qui a le plus inversé cette tendance en passant sur la période 1990-2013 de 90 % des recettes d’exportation issues des hydrocarbures à 65 %. Du fait de leurs efforts soutenus et des activités de réexportation effectuées à Dubaï, les Emirats Arabes Unis ont les exportations les plus diversifiées du Golfe (Seulement 20 % liées aux hydrocarbures).
Les diverses politiques d’investissement menées – domestiques comme extérieures – sont orientées vers des secteurs porteurs. En parallèle, les importantes réserves de devises accumulées servent également à maintenir les dépenses essentielles visant à garantir la stabilité dans une région en proie à divers bouleversements.
Planifications économiques et diversité régionale
Marqués par le déclin du prix des hydrocarbures dans les années 1980 qui a engendré une chute des dépenses publiques, de la consommation intérieure et une hausse de la dette, les pays du Golfe ont mis en place diverses stratégies de diversification économique (Stratégie 2025 en Arabie saoudite, Visions 2020, 2021 et 2030 à Oman, aux Emirats Arabes Unis, et au Bahreïn ou encore Vision nationale 2030 au Qatar). Bahreïn, premier à faire face à l’équipement proche de ses ressources, fut le premier à appuyer cet effort.
L’orientation politique impacte également celle de la diversification. Ainsi l’Arabie Saoudite apparaît plus protectionniste et privilégie le développement intérieur, à la différence des Emirats Arabes Unis et du Qatar. Quant au sultanat d’Oman, qui ne bénéficie que de faibles réserves comparé à ses voisins, il accentue encore plus la diversification de son économie.
A l’heure actuelle, la part du secteur non pétrolier dans le PIB atteint en moyenne 70 % dans les pays du Conseil de Coopération du Golfe. Aux Emirats Arabes Unis, qui ont une économie très diversifiée, ce chiffre s’élève à seulement 25 % de leur PIB (Coface).
Investissements nationaux dans des secteurs stratégiques
Les recettes fiscales issues des hydrocarbures – représentant une moyenne de 80 % dans les pays du Golfe (2013) – sont réinvesties dans des secteurs considérés comme stratégiques : secteurs industriels comme la pétrochimie, l’aluminium, l’agroalimentaire, l’hydraulique ou encore la construction, le tourisme, les finances, l’énergie etc. L’ampleur des investissements est directement dépendante du cours des hydrocarbures.
Infrastructures
Les pays du Golfe ont dans un premier temps investi en amont et en aval du secteur pétrolier et gazier (à l’exemple de la création de Sabic, géant saoudien de la pétrochimie). Ils ont en parallèle modernisé leur pays via des infrastructures de qualité. Ils misent ainsi sur leurs avantages comparatifs – énergie et liquidités abondantes ainsi que sur leur statut de carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie – pour se positionner comme hub international.
Dans le domaine aérien, la construction d’un nouvel aéroport à Doha et du plus grand aéroport au monde à Dubaï présente une illustration de cette ambition grandissante. L’essor des compagnies aériennes du Golfe (Emirates, Qatar Airways, Etihad etc.) confirme ce positionnement de hub logistique (notamment pour les Emirats Arabes Unis, qui constituent également un carrefour du commerce et des services, et le Qatar).
Chaque Etat soutient en parallèle son activité portuaire en vue de s’inscrire comme acteur de premier plan du fret maritime, comme aérien. La région aspire à devenir une plateforme d’exportation incontournable, notamment entre l’Asie et l’Europe.
Construction
Les pays du Golfe investissement massivement dans ce secteur. Les gratte-ciel et exploits architecturaux fleurissent, à l’exemple des célèbres Palm Islands, de la Burj Khalifa (plus haute construction du monde), ou encore du futur Mall of the World (plus grand centre commercial du monde) à Dubaï. Cet Emirat s’affirme particulièrement dans ce domaine, avec ¼ de son PIB issu du secteur du bâtiment. En outre, les pays du Golfe se lancent dans la construction de villes nouvelles, comme la ville économique du roi Abdallah (demi-frère de l’actuel souverain Salmane) en Arabie Saoudite, qui allie zone industrielle, zone résidentielle à un port visant à desservir les différentes routes maritimes.
Tourisme urbain et culturel
Au-delà du tourisme religieux existant en Arabie Saoudite, les pays du Golfe cherchent de plus en plus à émerger comme destinations touristiques. Les hôtels de luxe, grands buildings, et projets architecturaux modernes en témoignent. Dubaï est ainsi devenu, en plus d’un hub logistique, un hub du tourisme (trafic de 19.6 millions de personnes selon Dubaï Airports). Les pays du Golfe promeuvent leur image de marque avec le développement d’un tourisme urbain, souvent d’affaires et d’organisation de colloques (à l’instar du Qatar, qui a accueilli en 2012 la Conférence des Nations Unies contre le réchauffement climatique).
Le Sultanat d’Oman met quant à lui en avant son héritage culturel et ses paysages naturels (Mascate, Salalah, désert du Dhofar).
Les Etats du Golfe développent, en parallèle, leur rayonnement international et leur attractivité grâce à la culture. Les exemples se multiplient : choix de l’émirat de Sharjah comme capitale culturelle du monde islamique en 2014, musées des arts islamiques et arabes et succursales du Louvre au Qatar (qui s’illustre dans le marché de l’art), foire Dubaï Art etc. Le choix de Dubaï pour accueillir l’exposition universelle en 2020 confirme cette tendance.
L’investissement dans le cinéma participe également de cette volonté de rayonnement, avec la création de festivals internationaux tels que le Dubaï International Film Festival (2004), l’Abu Dhabi Film Festival (2007), le Gulf Film Festival (2008) ou encore le Doha Tribeca Film Festival organisé au Qatar de 2009 à 2012.
L’industrie du sport est également utilisée pour accroître l’attractivité touristique. L’organisation de la coupe du monde 2022 par le Qatar, les grands prix de formule 1 (Bahreïn, Abu Dhabi etc.) ou encore les sports équestres en sont des illustrations.
Energie
Conscients de la non-durabilité des hydrocarbures, les pays du Golfe investissent de plus en plus dans les énergies, notamment renouvelables. Les Emirats s’illustrent particulièrement en la matière (financement de projets à l’échelle mondiale et investissement dans la recherche). Ils ont pour objectif de produire 5 % de leur énergie par le solaire d’ici 2020 et réfléchissent à une exploitation plus intelligente des hydrocarbures. Le Sommet Mondial des Energies du futur, qui se tient chaque année à Abu Dhabi, démontre cette volonté. L’accueil de celui-ci en 2016 par Masdar city, ville nouvelle que les Emirats ont conçue comme un modèle technologique et écologique, est un symbole fort en la matière.
L’énergie nucléaire est également envisagée comme substitut. L’Arabie Saoudite s’est ainsi lancé dans un programme de construction de 17 centrales nucléaires d’ici 2032. Elle dispose en effet d’un plan énergétique ambitieux, piloté par le King Abdullah City for Atomic and Renewable Energy.
Finances et climat des affaires
Les pays du Golfe misent sur la finance et deviennent des acteurs de premier plan, notamment de la finance islamique. Bahreïn dispose ainsi d’un rôle prééminent avec son secteur financier offshore. La finance islamique prédomine dans la région bien qu’un double système de finance existe aux Emirats Arabes Unis.
Les pays du Golfe tentent également d’encourager l’entreprenariat et le développement de petites et moyennes entreprises (facilitation des prêts bancaires, garanties de prêts etc.). En ce sens, un fond national pour le développement des PME a été créé au Koweït.
En vue de booster et diversifier leurs économies, les pays du Golfe ont cherché à attirer les investissements étrangers. Ils ont multiplié les zones franches. Celle de Jebel Ali, la plus grande au monde, est située à Dubaï, elle concentre plus de 7 000 entreprises ; aucune taxe à l’exportation ou à l’importation n’est appliquée.
De manière générale, les pays du Golfe cherchent à accroître leur compétitivité. Le Qatar et les Emirats Arabes Unis sont ainsi classés 14e et 17e dans le rapport sur la compétitivité du World Economic Forum (période 2015-2016).
Disposant d’un secteur public important, où travaille la plupart des employés locaux, les pays du Golfe cherchent à dynamiser le secteur privé. Ainsi au sultanat d’Oman, l’Etat réduit sa participation dans de nombreuses entreprises, favorisant les privatisations et l’ouverture aux capitaux étrangers. Les Etats du Golfe ont par ailleurs entamé diverses réformes visant à rationaliser le cadre légal (enregistrement des entreprises, politiques de concurrence, droits des investisseurs etc.).
Toutefois certains blocages et lenteurs administratives persistent, en plus d’un droit du travail plus ou moins restrictif selon les Etats.
Intégration régionale
Le manque de collaboration dans la détermination des différentes stratégies de diversification a conduit à une absence de politique de spécialisation par secteurs entre pays voisins, qui ont aujourd’hui les mêmes ambitions. L’existence de deux aéroports internationaux à quelques dizaines de kilomètres l’un de l’autre (entre Dubaï et Abu Dhabi), reflète ce manque de coordination.
De manière générale, le commerce intra-régional reste faible. Si un marché commun a été mis en place entre pays membres du Conseil de Coopération du Golfe, les velléités d’instauration d’une monnaie unique restent bloquées, en raison d’enjeux géopolitiques contradictoires.
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Focus
– Promotion de l’économie de la connaissance –
Pour accroître leur compétitivité, les Etats du Golfe impulsent une transition vers l’économie de la connaissance, fondée sur un capital humain fortement qualifié et les technologies innovantes (dans les domaines de l’information, des services, de l’éducation, de la recherche etc.).
Capital humain et innovation
L’une des priorités des Etats du Golfe est d’inverser la tendance actuelle du secteur privé, composé majoritairement de cadres et ingénieurs expatriés et d’une main d’œuvre peu qualifiée venant du sous-continent indien ou d’Asie du sud-est. Face à la croissance démographique (plus de 60 % de la population d’Oman et d’Arabie Saoudite a moins de 25 ans) et au taux d’activité féminin en hausse, les pays du Golfe cherchent à créer des emplois à haute valeur ajoutée et salaire attractif pour absorber les nationaux, qui travaillent aujourd’hui en majorité dans le secteur public (état de fait permis par une économie rentière et basé sur le clientélisme). Le programme de « saoudisation » des postes du secteur privé illustre cette tendance.
L’enjeu de formation d’un personnel local diplômé a poussé ces pays à investir massivement dans l’éducation. Des zones pionnières en matière d’éducation, d’innovation et de recherche fleurissent, à l’instar de l’Education City au Qatar, qui accueille diverses écoles, instituts de recherche, laboratoires de grandes entreprises mondiales, et plusieurs succursales des meilleures universités au monde. L’île Al Reem – où se trouve la Sorbonne Abu Dhabi – et le Dubaï knowledge village, s’inscrivent dans le même sillage. En parallèle, les bourses pour l’envoi d’étudiants à l’étranger se multiplient.
Le Qatar qui organise chaque année le Sommet mondial de l’innovation dans l’éducation cherche à se démarquer en la matière.
Information et communication
Les technologies de l’information sont des secteurs d’investissement stratégiques pour les pays du Golfe. Ils ont ainsi dédié des zones franches spécifiques à celles-ci (Dubaï media city, Dubaï internet city, Academic city, Qatar Science and Technology Park etc.) dans le but d’attirer les centres de recherche et développement des fleurons mondiaux de ces secteurs.
Par ailleurs, des investissements conséquents sont réalisés dans les médias. Ainsi, les chaînes saoudiennes telles MBC ou Al Arabiya ou qataries comme Al Jazeera (disponible en arabe et anglais, dans plus de 140 pays) et sa filiale BeIn Sports, renforcent l’influence internationale de ces pays.
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Politiques de diversification des investissements extérieurs
Par ailleurs, les fonds souverains figurent au cœur de la politique de diversification des pays du Golfe : ce sont ces fonds ainsi que de riches familles qui développent des conglomérats et grands groupes investissant à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Cumulés, les fonds de l’Arabie Saoudite, d’Abu Dhabi, du Koweït, du Qatar, d’Oman et de Bahreïn représentent plus du quart des sommes mondiales des fonds souverains. Par leur prise de participation au capital de grandes entreprises, ils acquièrent ainsi un poids tant géoéconomique que géopolitique.
Ces fonds diversifient géographiquement leurs avoirs (Amérique du Nord, Europe, Asie, Maghreb et Afrique). Ils diversifient également les secteurs cibles – souvent via des fonds sectoriels – en investissant dans l’industrie, le luxe, les matières premières, la finance, la construction et l’immobilier, l’énergie, les transports, les nouvelles technologies, le tourisme, le sport ou encore les médias etc.
Ils renforcent ainsi leur image de marque tout en servant leurs intérêts économiques. Il en va de même pour leurs intérêts vitaux, comme l’investissement dans le domaine agricole et l’achat de terres arables à l’étranger, afin d’assurer leur sécurité alimentaire.